Tarendol, vélo de son état, adore les fontaines des Baronnies Provençales. Sans les fontaines, les chevauchées cyclistes à travers cols et vallées finiraient en cauchemar. Il y remplit ses bidons. L’eau qui coule, chantante, céleste, par les canons de ces fontaines est généralement réputée « non potable ». Ce n’est qu’un avatar d’un principe de précaution mal compris, qui tend à conclure que tout ce qui n’est pas autorisé est interdit, et que tout ce qui n’est pas contrôlé est dangereux: ici, l’eau. Eau de source pourtant, charriant peut-être un peu de fer et quelques particules, osons le mot, de terre… et alors? Est-ce qu’une eau de source a jamais tué un vélo?
Les oliviers ne sont jamais loin, du moins dans les vallées. En altitude ils finissent par renoncer; au fil des ascensions leur ombre légère – trop légère – est remplacée par celle des chênes verts voire des pins; et au fond, Tarendol en est bien aise.
Les fontaines sont toutes différentes, comme leurs eaux. Certaines, monumentales, trônent au milieu de la place du village. Elles ont parfois deux ou trois bacs, associées au lavoir communal. Celles-là s’abritent sous un toit, et la fraîcheur de l’eau s’associe à la pénombre généreuse offerte par celui-ci, autrefois aux lavandières, aujourd’hui aux vélos et accessoirement à leurs cyclistes. D’autres sont toutes petites, chiches, fragiles, mais d’une pierre de haut lignage, blondie sous des siècles et des siècles de soleil sans pitié. D’autres encore sont à sec; là, Tarendol passe, ralentit et se désole de cette image de dénuement aride; une source tarie, et c’est un peu du pays qui se minéralise. Tarendol verserait bien, dans le bassin poussiéreux, le contenu de ses bidons; mais son cycliste généralement s’y oppose, égoïste et préférant étancher sa propre soif que celle, pourtant bien plus grave, de la terre.
Mais oublions les fontaines à sec, celles qui chantent restent les plus nombreuses. Il faudrait faire le tour des fontaines des Baronnies, en faire un livre d’images à distribuer dans les écoles, en gommant, grâce à Photoshop ou assimilé, la triste et mensongère mention « non potable ». Il y aurait la fontaine de Curnier, fontaine-lavoir, celle à laquelle s’est arrêté Tarendol sur la photo, au sortir de la vallée de l’Ennuyé; celle de Mollans, dans la catégorie des riches à deux bassins et toit de tuiles rondes; celle d’Aubres… à sec, mais encore belle; celle de… Tarendol, puisqu’avant d’être un vélo Tarendol a été un hameau; celle d’Arpavon, village fabuleux, totalement isolé, en cul-de-sac en haut d’une terrible côte de 2 km que Tarendol (le vélo) ne peut grimper que sur son plus petit développement, et encore… mais en haut, quel spectacle, sur le Ventoux calé entre les pentes du col d’Ey! Celle de Condorcet, à moins qu’il ne s’agisse de Saint-Ferréol; celle de Grignan (là, on a quitté les Baronnies pour le Tricastin mais sur le plat, c’est si vite fait!) au pied du château de la Marquise (de Sévigné; plus exactement, de son gendre d’Adhémar, lieutenant-général de Provence), fontaine élégante comme il se doit, monumentale, ronde, tout à fait Trianon mais tout aussi fraîche que ses collègues roturières; celle de Sahune sur la route des gorges de l’Eygues, annonçant déjà l’ombre dense du pied des falaises aux vautours…